dimanche 15 avril 2012

R JAM A.- Le Tour d'écrou, Henry James, Le Livre de poche, 1995, 1898, 5€

Note : Grrrrrrrrrr

L'histoire 
Durant une veillée d'hiver lors de laquelle on relate des histoires de fantômes un homme lit un journal tenu par une gouvernante qu'il a personnellement connu et qui lui a légué un bien terrible secret. Cette dernière  se vit confier l'éducation de deux enfants dans une grande demeure, mais bientôt d'étranges phénomènes viennent perturber les journées du petit groupe. Les enfants si charmants font peu à peu preuve d'un comportement énigmatique. 

Mon avis
Une fois de plus Henry James ne m'a pas déçu au point que ce petit bijou littéraire arrive à présent dans mes quatre oeuvres préférées avec Portrait de femme, La source sacrée et L'Elève. 

(attention ne pas lire la suite si vous souhaitez conserver le mystère du livre) 

Comme à son habitude l'action la plus haletante se produit dans la psychologie des personnages. Au point que je me suis habituée à dire que les romans de James sont des romans d'action psychologique. Le secret, le non dit est très présent et reste hermétique même au lecteur faisant de ce dernier un nouveau personnage. Mais ici la caractéristique du texte nous montre un James nous donnant sa propre définition du fantastique. Qu'est ce que le fantastique donc ? Le surgissement dans le réel d'une chose impossible. Mais James nous rappelle à un fantastique "psychologique" qui pourrait être une projection dans le réel d'une intériorité. Tiens, mais ne serait-ce pas ici une définition du fantasme ? Alors la question qui se pose à présent est : fantastique ou fantasme ? J'aurais tendance à dire "Les deux mon capitaine !" si il y a vraiment une différence finalement. Dans un premier temps je me rappelle que dans l'Elève une sorte de fantasme du savoir était déjà un élément clef avec le secret et le mensonge. Ici la gouvernante ne me semble pas être un foudre d'enseignement puisque les enfants semblent déjà aussi doués qu'elle. Sa quête personnelle est plus de devenir maître de la situation et des enfants. Ce n'est pas innocent car au départ le Maître lui donne les pleins pouvoirs sur la maisonnée et lui demande de n'être mis au courant de rien. Si au début la gouvernante semble gênée par ces pouvoirs absolus, qu'elle accepte uniquement à cause du salaire mirobolant, elle se grise rapidement et surpasse même rapidement sa gêne première jusqu'à l'issue fatale. Pour James "Brainy is the new sexy" mais sans aucun doute c'est une faiblesse et tous ses personnages vraiment intelligents courent des dangers mortels alors que les "simples" s'en sortent toujours. Pour James apparemment "powerful is the new dangerous" (bon OK j'ai pas trouvé de rime) les personnages cherchant le pouvoir font encourir de terrible dangers aux autres. La gouvernante va s'opposer à la volonté des enfants en cherchant à les surprotéger, à devenir la seule à posséder le pouvoir d'autoriser ou pas aux enfants de faire ce qu'ils veulent ou de pouvoir penser à ce qu'ils souhaitent ou ne souhaitent pas comme l'indiquera la dernière réaction de la petite Flora avant de partir avec Mrs Grose. Ce danger mortel est les pensées de l'autre et surtout le danger de son propre intellect si bien que les personnages de James à l'image de la gouvernante sont eux-même leur propre piège, leur propre cage. 

Ce qui nous amène à la problématique du lieu. La prison intérieure des personnages ressurgi toujours sur les caractéristiques des lieux où ils vivent. Le procédé simple est extrêmement visible ici. Au moment où la gouvernante arrive à Bly, le lieu lui parait charmant et digne d'un conte de fée mais petit à petit l'endroit va se transformer à l'image de ses pensées en un lieu clos, sombre et vicié. Les personnages n'évoluent d'ailleurs qu'en trois pièces les chambres, le salon et les couloirs. Quant à l'extérieur nous avons des descriptions du jardin immense de nuit sur lequel on peut tout perdre et l'endroit près du lac symbole ici d'insécurité. James créé un univers parallèle à la réalité, nous laissant penser qu'ailleurs, à Londres par exemple la vie est possible. Mais il existe un dernier lieu où seul le personnage principal et le lecteur peuvent se retrouver ensemble : l'esprit de la gouvernante. Celui-ci est très intéressant car est composé comme un miroir déformant psychologique de ce que pensent les autres. La gouvernante ne semble pas penser par elle même mais réfracter ce qu'elle croit percevoir des pensées négatives de l'autre.  Et plus elle reflète les pensées et les non-dits d'autrui plus les lieux physiques changent. 
L'ambiance  du lieu très imagé est secondé par l'influence sur le lecteur. James manipule la lecture de façon assez grandiose en ne nous lançant pas directement dans le récit mais en introduisant  dans une chasse particulière, tout commence par une veillée d'hiver où des gentlemen et ladies se racontent des histoires d'apparitions pour se faire peur. Dés lors on nous parle de quelqu'un qui a vécu une histoire à faire frémir mais cette personne a légué à l'un des convives son journal où elle a retranscrit cette histoire. Le double piège est lancé par James, oui c'est une histoire mystérieuse et des plus sombres qui nous sera racontée mais son effet est doublement renforcé par le fait que la femme qui l'a vécu n'est pas là pour témoigner mais ayant couché son récit sur papier, elle donne par là-même une sorte de preuve physique de ce qu'elle a vécu. Ce journal rend crédible l'histoire qui suit et nous fait entrer telle une porte dans le temps du fantastique voir dans un univers parallèle. Jusqu'à présent le récit était réaliste puisqu'il s'agit d'une soirée qu'il y en a tant et c'est le surgissement de ce journal dans le réel qui amène le fantastique à nous faire entrer dans une seconde temporalité. James fait germer le possible dans le certain. Et de là la plante monstrueuse commence à croître sous nos yeux. 

Puisque l'on parle de nos yeux, il y a une thématique intéressante dans ce roman à savoir les regards. Dés le départ James nous demande de porter attention à cela pour le reste de l'histoire avec le début d'histoire lors de la veillée où le "conteur" va regarder d'une façon très particulière le "narrateur" (Au passage il serait intéressant d'étudier le jeu entre "le conteur", le narrateur et le lecteur). Par la suite la seule action des apparitions est de regarder avec plus ou moins d'intensité les enfants et la gouvernante. Nous ne sommes donc pas en face d'esprits frappeurs ou d'esprits bavards mais d'esprits. Ce n'est pas franchement le type de fantôme effrayant que nous sommes habitués à voir dans les autres oeuvres fantastiques de la même époque. Bon, mais alors qu'ont-ils de si effrayant ? Pour moi ils sont le reflet de l'ambiance en elle même. Au début pas de fantôme en vue. Puis peu à peu après le retour du petit maître renvoyé de son école on instile l'idée que l'enfant est en réalité méchant. Pourquoi ? On ne le saura jamais. Et voilà que dans la foulée le premier fantôme apparait et fixe son regard inquisiteur sur la gouvernante. Les apparitions apparaissent à point nommé, pour rendre l'ambiance moins confortable. Ils deviennent de véritables incarnations du mal. La situation dégénère peu à peu la petite est soupçonnée d'intelligence et de mensonge et voilà que le second fantôme apparait aux yeux toujours de la gouvernante. Mais alors quoi il n'y a que la gouvernante qui perçoit les fantômes ? Et bien à y regarder de plus près ce n'est pas si simple que ce que je viens de dire précédemment, certes, les enfants sont soupçonnés d'être méchants mais... au moment où l'institutrice rencontre le regard du fantôme elle est en train de rêver à une rencontre romantique d'un bel inconnu dans le parc. Or Quint est l'incarnation parfaite de ce bel inconnu au caractère fort près à corrompre les petites gouvernantes d'un rang supérieur au sien. C'est à ce moment là que le fantasme prend corps exactement en même temps que le fantastique de la situation apparait. Epatant n'est-ce pas ? Ce qui nous amène fatalement à la question : Qui mis à part la gouvernante voit les fantôme ? Et la réponse est bien évidemment : personne sauf si... nous lecteurs décidons de les voir. Ce qui est important chez les fantômes en fin de compte est le jeu de regard qu'ils opèrent, ils regardent ce qu'ils désirent ou ce qui les met en colère. Ils regardent donc soit les enfants, soit la gouvernante. A un seul moment le fantôme se replie sur lui même et c'est pour ne plus revenir c'est Miss Jessel lorsqu'elle est au même bureau que la gouvernante. C'est donc à ce moment que tout le jeu du regard prend son importance, car les fantômes ne peuvent être q'une projection de la psychologie de la gouvernante et ainsi le roman devient non pas une histoire de fantôme mais un curieux écheveau psychologique de pelotes de fantasmes qui, personnellement me fait encore plus peur qu'un roman fantastique. A ce moment là il est intéressant de sortir de la narration pure et de décortiquer les diverses couches narratives et les divers procédés qui troublent notre propre regard de lecteur, qui fausse notre perception. Car finalement tout est là, la gouvernante entre de plein pied, en intégrant la demeure, dans une autre sphère de sa propre conscience et nous dévoile son inconscient au travers des fantômes, ses actions seront déterminées par l'idée faussée qu'elle se fait des situations réelles. Son propre regard est dévoyé par le filtre de ses idées, de sa cognition passant d'une perception consciente des faits (de type : le garçon a été renvoyé mais il est gentil, je peux vivre avec eux) à une perception inconsciente (de type : bon sang de bois ! ce garçon adorable cache un esprit torturé et sa méchanceté profonde afin de ne pas dévoiler un secret qui ne lui appartient pas qu'à lui seul, il faut à tout prix que je le sauve lui et sa soeur d'un péril qu'ils se font courir car ils vivent dans un univers horrible peuplé de mystères macabres, j'ai envie de fuir mais je montrerai que la seule qui a le pouvoir ici c'est moi et que je triompherai jusqu'à la mort de l'esprit du mal). Elle crée elle même des stimulus auxquels elle réagit en faisant apparaître à sa vue des prétendus fantômes qu'elle redoute, étant donné qu'elle ne sait finalement que peu de choses des deux enfants, elle est amenée à se faire des idées sur les non-dits créant un premier filtre qui trouble la perception de la réalité ; à ceci s'adjoint la vision de Mrs Grose qui amplifie par son absence de paroles significatives les idées fausses que se fait la gouvernante, cette dernière augmente encore cette folie à deux en ayant des réactions or de propos ou ayant tendance à prouver que la gouvernante voit juste. L'image que se fait alors cette dernière en regardant les enfants à travers ce simple filtre est faussée dés le début mais est doublement faussé par réfraction lorsque les enfants eux-mêmes réfractent une réaction qui donne raison à l'idée de la gouvernante, provoquant une situation finale où le réel et l'illusion ne forment plus qu'une seule image devenue véridique à tous, aux personnages comme au lecteur.  Dans l'inconscient de la gouvernante (le surmoi ? je n'en suis pas certaine) cette dernière reflète l'image perçue déjà faussée sur le miroir déformant de ses propres angoisses dont elle fait part au lecteur dés le départ de l'intrigue, cette triple réfraction voile alors définitivement aux yeux du lecteur le vrai du faux et une simple situation comme la petite fille qui s'amuse avec des bouts de bois près du lac, qui devrait être un épisode anodin de la vie quotidienne, devient un haut moment d'angoisse car l'image déformée nous parvenant de l'inconscient de la gouvernante nous donne à voir une petite fille menteuse faisant croire qu'elle ne voit pas les morts qui essaient d'entrer en contact avec elle pour tenter de l'emporter et gagner le jeu du pouvoir. 

Ce qui est intéressant avec ce jeu des regards c'est qu'en fait il n'y a rien à voir. James fait le même coup dans chacun de ses romans, il ne dit pas tout voir rien sur une partie passée des personnages. Cette absence de donnée est insupportable aux personnages qui la comble avec des informations erronées mais aussi insupportable au lecteur qui tente de se raccrocher à la vision du personnage principal pour essayer de retisser sa propre partie manquante du tissu narratif.  La nature a horreur du vide par définition et l'impression de ne pas savoir, de ne pas tout maîtriser, d'être face à l'inconnu, au non-dit, au mystère est la pire des menaces pour l'esprit. Cette atmosphère de mystère est introduite dés les premières pages du roman lorsque James plante le cadre dans une veillée ù l'on raconte des histoires d'horreur et que l'un des convives fait des allusions sur un manuscrit donné par une institutrice pour laquelle il aurait peut-être eu des sentiments, ce manuscrit est enfermé à double tour quelque part dans un secrétaire dont la clef est toujours sur Douglas et ne le quitte pas. Les choses commencent dés le départ dans le non-dit, le mystère, l'idée de danger obscur et l'incertitude plaçant le lecteur sur une réalité bancale qui le fera basculer à l'apparition bien réelle du manuscrit de la gouvernante et qui finira par faire plonger le lecteur dans un passé de conte de fée. Le "Il était une fois" est implicite (comme à peu près tout) car il nous est dit sur 10 pages par le récit du narrateur et de ce fameux Douglas qui va parler du manuscrit.  "Oui mais " allez vous me dire, "si il y a bien une sorte d'il était une fois au début, nous devons avoir l'équivalent de "ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants"  à la fin nous laissant présager une suite heureuse au récit. Mais puisqu'on vous dit que c'est une histoire de fantôme, ça ne peut pas bien se finir ! Mais en tout état de chose Henry James est un gai luron et nous refait le coup de l'escalier de Penrose en terminant le récit pile à la mort de l'enfant. Où est le rapport avec l'escalier de Penrose et le tour d'écrou me direz-vous ? Et bien tout simplement en ne faisant pas commenter la fin par les personnages rencontrés dans le salon au début, le narrateur et Douglas par exemple, James nous conduit tout droit par la main vers l'idée que nous lecteur pouvons continuer l'histoire comme bon nous semble indéfiniment comme une vis sans fin et nous permet ainsi soit de montrer que la gouvernante avait projeté ses fantasmes sur la réalité ou soit qu'elle était plongée dans une histoire fantastique durant laquelle aucun secret n'a été révélé ni l'existence des fantômes, ni ce que cachait Miles, pas même ce qui est arrivé ensuite, ni ce qui a réuni Douglas à la gouvernante. La seule certitude qui nous est donnée par James en écrivant la dernière phrase de ce texte c'est que Miles cachait effectivement quelque chose et qu'au moment de le dévoiler, le secret l'a consumé.  Il n'y avait donc pas rien derrière les faits se cachaient les fantômes de la gouvernante et de Miles, des fantômes faits des brumes de l'inconscient.

 En résumé on pourrait dire du Tour d'écrou que c'est : Une histoire sur ce qui hante nos âmes. Fantasmes ou fantastique à vous de voir. 

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2 commentaires:

  1. Wahou! La chronique la plus longue du monde! Je suis MDR de voir la dernière phrase: un résumé en 15 mots seulement, c'est efficace!

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  2. ;o)

    C'est bien mon genre ça... écrire deux lignes sur un bouquin de 600 pages et écrire 900 pages sur un livre de 80...

    On se refait pas... Mais le livre le mérite...

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