Note : Grrrrrrrr
L'histoire
Simon Perse a décidé de cesser de dormir. Simon Perse est un écrivain perdu et insomniaque qui ne s'habite plus lui-même. Comment regagner sa place et se retrouver en ignorant tout de soi ? Peut-on être son propre imposteur ? Philippe Ségur écrit-il une autobiographie ou une biographie de Simon Perse ? Autant de questions qui auront ou non de réponse, mais il se pourrait bien que nos certitudes vacillent.
Mon avis
Je me rappelle avoir voter pour Métaphysique du chien lors du Festival du premier roman de Chambéry. Je me rappelle qu'alors, après une nuit sans sommeil de lecture de son roman, je m'étais demandé "comment cet écrivain peut-il si bien s'amuser avec le lecteur ? " Et puis je me rappelle m'être dit que si j'avais écrit un roman s'eût été celui-ci. Beaucoup de mes amis m'ont dit que j'avais des goûts simples. Une parenté se créait entre cet auteur et moi (cf. conclusion de cette chronique), nous possédions les mêmes appetences littéraires. Pour autant, je ne suis pas fan de lui. L'étrange proximité de nos références culturelles m'ont bizzarement éloigné de l'auteur, pour rien au monde je ne souhaiterais le rencontrer ayant trop peur de finalement être déçue par lui et donc un peu par moi. De plus, je n'arrive pas à savoir ce que j'aurais à lui dire, je préfère garder ma place de lectrice elle est bien plus confortable. Pourquoi est-ce que je raconte cela ? Vous allez voir (sic... amateurs de casses tête je vous renvoie à ma chronique d'Inception, c'est exactement la même chose et ici démarre le jeu). C'est avec une curiosité fébrile que j'attaquais la lecture du Rêve de l'homme lucide avec la certitude que j'allais retrouver une part de moi dedans. Certes comme l'a théorisé Umberto Eco et nombre de scientifiques le roman est une recréation perpétuelle du lecteur, quand les romans sont bons, aurais-je envie d'ajouter. Il est donc naturel que je me retrouve en ces pages même lorsque le sujet en est la quête de l'identité et la place que l'on pense avoir. Le pari fut gagné rapidement le je du narrateur est devenu le je du lecteur.
Bref, Philippe Ségur me fait toujours rire mais de ce rire particulier propre à peu d'auteurs, un "rire sociétal " je ne pense pas que cela se dise, mais dans le cas Ségur, nous rions toujours des errances de la société de ses non-sens... mince on ne devrait jamais définir le rire ce n'est jamais drôle (Le Rire de Bergson en est un témoignage d'ailleurs). N'en déplaise à ce dernier, Philippe Ségur est bien un homme de son temps (ahlala combien de thèses de bébés universitaires porteront ce titre...) il nous fait rire d'un monde en perte d'identité, où tout le monde doit entrer dans le même schéma, un monde où l'on ne rêve plus par soi même mais grâce aux rêves de substitution de la société. Or comme personne ne peut-être naturel dans ce schéma préécrit nous devenons tous des imposteurs, des profiteurs, des suborneurs. Nous nous éloignons de nous même et de notre idéal pour devenir ce que la société veut de nous.
C'est en ce sens que je décrirais ce roman : "une histoire de fantôme et de temporalité".
Le Rêve de l'homme lucide : un roman fantastique ? En dehors du narrateur tous les autres personnages ne sont que des êtres croisés tels des ombres, on parle de la femme de Perse sans qu'elle montre sa réalité sur le quotidien, ses enfants ne sont là que pour donner des ordres et des conseils (on doit jouer aux toupies, j'ai faim, tu ne devrais pas...), le psychiatre n'est qu'une réflexion de miroir, l'ami de Perse est plutôt le fantôme du sens du goût et de l'ouïe titillant toujours le palais de Perse sans finalement qu'il ne partage grand chose avec lui. Tous les personnages réels sont impalpables et inodores, ils ne sont également que le simulacre de ce qu'ils souhaitent laisser voir d'eux, les seules sens vraiment sollicités sont ceux dans les phases de délire où le héros retrouve LA femme de ses vies. Le délire devient alors le réel à atteindre, le bonheur absolu s'y cachant. D'ailleurs je ne devrais pas parler de phases de délire mais plutôt de phases de voyage dans le temps car le héros revit ce qu'il pense avoir vécu dans des vies antérieures. Ces phases ont une temporalité très marquées grâce aux costumes et aux livres d'histoires que Simon compulse. Dans le réel Simon s'est affranchi du temps en ouvrant le roman sur ceci "J'avais décidé d'arrêter de dormir", affranchissant par là-même la temporalité puisqu'il ne vivait plus qu'une seule et unique éternelle journée. Ce serait assez drôle d'ailleurs de relire ce livre en se fixant uniquement sur le temps, je dois avouer avoir été trop prise par l'histoire pour m'être attardée sur le temps (... ).
Quand j'ai lu ce roman j'ai été frappée de me retrouver aussi facilement dans la peau de Philippe-Perse, les situations m'étaient familières, ses personnages se laissent toujours guider par la passion plutôt que par la raison. Une fois de plus les romans de Ségur me donnent l'impression de sombrer dans des délires schizophréniques, ce qui est franchement marrant étant une fille des plus terre à terre. Ses héros viennent toujours démolir le monde dans lequel ils pensent habiter et une fois à nu deviennent des super-hommes, ici par exemple avec cette vue intérieure de vies antérieures, se libérant de tout ce qui les entravaient encore au monde (morte de rire à chaque intervention du psy). Ses héros vivent mal le quotidien et s'enivrent de tout ce qui pourrait pensent-ils les aider et puis une brèche dans leur monde réel se fait la plupart du temps liée à leurs propres choix et les voilà qui tentent d'inverser les choses et faire de leur délire un lieu de bonheur, cela se complique toujours lorsque le monde imaginaire vient télescoper le réel.
Qu'est ce qui fait courir le héros ? L'amour pardi ! On pense avoir affaire à un homme incapable d'aimer car il nous le dit plus ou moins, qu'il n'attache au début que peu d'attachement à sa femme avant qu'un mystérieux religieux n'apparaisse. Et voilà que son amour réel apparait durant ses phases de voyage temporel et l'on sait que l'amour unique et infini est son but. Bon... Vous aurez remarqué au passage qu'amour et religion font leur apparition ensemble même si le narrateur se montre comme un athée indécrottable mais voilà que mes cours d'uni sur la Bible que nous avions au programme refont surface et que je me souviens que lors d'un comparatif sur les testaments et l'amour un de nos profs nous avait parlé d'une histoire en particulier au sujet d'un certain Saint-Simon... et oui... Saint Simon qui au passage était né en Perse (Perse qui au passage a donné quelques uns des plus grands poètes de l'amour)... Bon je sais comme d'habitude c'est tiré par les cheveux mais vous en connaissez beaucoup des Simon Perse ?
En résumé, j'aime lire Ségur car j'ai toujours l'impression qu'il plonge intentionnellement le lecteur au coeur d'un jeu fantastico-philosophique où le lecteut doit se retrouver par rapport à ses propres certitudes. Fatalement le lecteur se prend au jeu et devient un peu je. Jusqu'au moment où Ségur crève notre bulle et nous annonce qu'il parle en fait de lui. Faisant de notre lecture un miroir de ce qu'a vécu son héros. Une critique des livres de Philippe Ségur devrait toujours commencer par JE (cf. Début de cette chronique).
Conclusion : je est un autre.
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